Acteur et militant de l’insertion professionnelle pendant 35 ans, le belfortain Denis Rudler livre un témoignage émouvant sur sa carrière, en se faisant l’interprète des laissés pour compte.

Denis Rudler, passé par Math sup Strasbourg et l’école d’ingénieur de Besançon, s’est investi pendant 35 ans dans la formation professionnelle et la réinsertion sociale à Belfort, sa ville natale.

Sous le titre « Minima professionnels », l’ancien formateur à la retraite fait revivre en ligne des notes incisives, prises au jour le jour lorsqu’il œuvrait au sein du centre de préformation de l’université populaire de Belfort, puis de l’association belfortaine de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, et enfin de l’association départementale d’insertion des jeunes.

Denis Rudler en fait émerger une époque, une ambiance, des parcours cabossés qu’on rectifie comme on peut : « C’est du vécu. Je n’ai pas voulu écrire sur moi, mais mettre en avant ces jeunes chômeurs sans aucune qualification, et resituer leurs parcours autour d’une problématique essentielle : qu’est-ce qu’on en fait ? ».

« Il y a beaucoup d’échecs mais aussi beaucoup de réussites »

Défilent ainsi différents portraits, parfois cocasses, parfois tragiques que l’auteur-témoin restitue sans concession : « J’ai croisé des jeunes envoyés par les services sociaux ou la justice, des immigrés, des détenus, cumulant des problèmes de santé, de logement, d’inaptitude sociale. Un public hétérogène que le formateur s’évertue à remettre à niveau et à réintégrer dans la société. » Soit on franchit la montagne, pas à pas, à travers des stages, d’abord pour se remettre dans le jeu, ensuite pour tenter de décrocher un job. Soit on tombe sur une impasse et on se cogne au mur. « Il y a beaucoup d’échecs », commente Denis Rudler, « mais aussi beaucoup de réussites. Chaque année, plusieurs centaines de stagiaires trouvent une solution et j’en croise parfois dans la rue qui me saluent avec plaisir. »

« Je n’ai pas connu l’épuisement de l’éducateur, dont le métier est de plus en plus difficile », poursuit le Belfortain, « car j’ai exercé des responsabilités au sein des structures d’insertion, même si les contraintes administratives étaient de plus en plus pesantes. Cela ne m’a pas empêché de rester immergé au plus près de la réalité sociale. » Elle est parfois cruelle : les enfants des anciens stagiaires qui viennent à leur tour tenter de s’en sortir ou ces gamins de 10-12 ans de plus en plus « déglingués », déjà sans avenir. Le fléau, c’est la stagnation sociale, ou la « petite connerie » qui remet tout le parcours de réinsertion en cause.

Saluant le « laboratoire social » mis en place dans le Territoire de Belfort sous l’ère Chevènement, Denis Rudler, qui a su conjuguer calme, bienveillance et autorité, n’a pas la science infuse : « Il y a des chômeurs qui ne seront jamais employables normalement et qui ne peuvent travailler que dans des systèmes aidés. En France, on n’a jamais résolu ce problème car on est trop dans le provisoire. »

Contact : www.denisrudler.net

François ZIMMER, l’Est Républicain le 02/07/2018