Farces du Siècle d'or espagnol

Publié le 18 Décembre 2024

Extraits du Prologue au lecteur  par Miguel de Cervantès pour l'édition de ses "Entremeses" 1615.

      Cher lecteur, je te supplie de me pardonner au cas où tu trouverais que dans ce prologue je m'éloigne de ma modestie habituelle. Il y a quelques jours, lors d'une conversation entre amis, nous discutions de comédies et de questions relatives au théâtre avec tant de rigueur et de savoir, qu'à mon avis, on ne pouvait rien dire de plus ni de meilleur. Il était également question de qui, en Espagne, a été le premier à élever la comédie au plus haut, quand elle était encore dans les langes, pour la revêtir de grâce et de théâtralité. Comme j'étais le plus âgé de tous, je dis que je me souvenais avoir vu une représentation du grand Lope de Rueda (1510-1565), sage et brillant homme de théâtre.

Il est né à Séville et il était batteur d'or. C'était un admirable poète qui composait des pastorales que personne n'a jamais réussi à dépasser....

 

     A l'époque de cet espagnol célèbre , tout ce dont un directeur de troupe avait besoin tenait dans un sac et comprenait, plus ou moins, quatre pelisses blanches ornées de bandes de cuir doré, quatre barbes et perruques ainsi que quatre bâtons de berger. Les comédies ressemblaient alors aux églogues, elles se déroulaient entre deux ou trois bergers et bergères. On y ajoutait des intermèdes de voleurs, de bobos, de basques ou de noirs.  Lope imitait ces personnages avec une grâce et une perfection que personne ne peut imaginer. Dans ces temps-là, il n’existait ni machinerie, ni de combats entre maures et chrétien, à pied ou à cheval. Aucun personnage n'apparaissait ni ne disparaissait par la trappe de la scène. Cette dernière était composée de quatre bancs et de planches, de sorte qu'elle s'élevait à quatre pieds. Ni âme ni ange ne descendait du ciel. Le décor se réduisait à une couverture tendue sur un fil d'un bout à l'autre de la scène, elle la séparait de ce qu'on appelait le vestiaire où se tenaient les musiciens qui chantaient sans guitare quelque vieille romance.

Un auteur appelé Navarro rendu célèbre par son jeu dans le rôle d'un voleur couard introduisit des décors et remplaça l'humble sac où l'on gardait les costumes par des coffres et des malles. Les musiciens s'installèrent à vue du public. Il supprima les barbes postiches pour que les comédiens puissent jouer à visage découvert sauf pour les rôles de vieux ou de personnages qui devaient changer d'apparence. Il inventa des machineries, les nuages, les trônes, les éclairs, duels et batailles, sans s'élever au niveau auquel est arrivé le théâtre d'aujourd'hui, notamment quand on représenta mes pièces dans les théâtres de Madrid. Je fus le premier à représenter les imaginations et les pensées qui se cachent au fond de l'âme, présentant au théâtre des personnages allégoriques qui furent accueillis chaleureusement et par les applaudissements unanimes du public...

Puis arriva le grand Lope de Vega (1562-1635) qui établit son règne sur le théâtre et imposa ses règles à tous les comédiens. Il remplit le monde de comédies heureuses et bien raisonnables et en telle quantité qu'il a écrit plus de dix milles pages. Toutes, et c'est le meilleur qu'on puisse dire, ont été représentées. Aux auteurs qui doutent de la quantité et de l'excellence de ses œuvres, il faut dire que, tous ensemble, ils n'atteignent pas la moitié de ce qu'il a produit...

Il y a quelques années je revins à mes anciennes occupations et je composai quelques comédies. Mais je ne trouvai pas d'entrepreneur de théâtre pour les mettre en scène. Finalement, je les rangeai dans un coffre et les condamnai à un silence perpétuel. Là-dessus, un libraire me dit être disposé à me les acheter bien qu'un directeur de troupe ait dit qu'on pouvait attendre beaucoup de ma prose mais rien de mes vers. Je jetai un œil à mes comédies et à mes entremeses, et estimai qu'ils n'étaient pas si mauvaises ou mauvais pour ne pas mériter de pénétrer dans les ténèbres mentales de ce directeur plutôt que de rejoindre les lumières d'autres moins scrupuleux et peut-être plus compétents. Finalement, en ayant assez d'attendre, je vendis le tout au libraire.....

Cher lecteur, que Dieu te donne la santé et à moi la patience.

 

L’entremeses, en français "intermède", dont parle Cervantès est une pièce comique, courte, représentée entre les actes de la pièce principale. Il s’agit d’une forme que les grands auteurs n’ont pas dédaignée explorer (Calderon, Quevedo, Lope de  Vega…) ainsi que d'autres formes comiques telles que les burlas (blagues), les pasos (ancêtres des intermèdes) ou les jocosas (divertissements comique).

Ces formes brèves abondent. Elles décrivent la société de ce temps, malmènent les coutumes et s’en prennent aux vices et à la corruption d’un monde extrêmement violent avec les faibles.  Les personnages types sont l’idiot, le vieil amoureux, le sacristain, le juge, le maire, le soldat désœuvré. Les artisans et les commerçants ne sont pas épargnés. La langue est également bousculée. On y parle une langue populaire, des dialectes et, parfois, un latin macaronique. On y fait des jeux de mots, quelques fois à la limite de la bienséance. Les moqueries, les blagues, les mensonges et tromperies y sont communes. Au cours des années, l’austère pasos des débuts présentera de la danse, de la musique et jusqu’à mettre en scène des situations licencieuses, au point que les autorités envisageront de l’interdire.

Curieusement, très peu de ces pièces ont été traduites en français, elles ont été rarement jouées en France. Il est vrai que le Siècle d’Or est une période d’une incroyable fécondité artistique auquel le théâtre a contribué. Mais ce sont les comédies et les tragédies des Calderon et autre Tirso de Molina qui ont attiré l’attention des traducteurs et des metteurs en scène.

Un échantillon d’entremeses et de pasos est disponible en cliquant sur le  bouton Farces du Siècle d'or dans le menu horizontal. Elles sont à disposition des gens de théâtre qui souhaiteraient les proposer au public.

A titre indicatif, vers 1596, en 18 mois, une troupe de Séville a joué 54 comédies et 40 intermèdes !

Les Olives (Lope de Rueda)

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Publié dans #Farces

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