Prométhée
Publié le 26 Décembre 2017
Le temps des dieux triomphants est loin. Prométhée s'est retiré du monde. Les hommes jouent avec le feu. Une catastrophe nucléaire a ravagé l'Ukraine. Dans le but de le convaincre de reprendre le feu, une survivante appelée Io se rend à la villa où le titan a pris sa retraite .
Extrait
Prométhée
L’abrutissante course aux richesses de ce monde,
Les hommes n’en finiront donc jamais.
Tout ce qui brille les attire comme des pies.
N’ont-ils rien appris depuis la nuit des temps ?
Toujours les mêmes lancinants excès
Troublent leurs jours et leurs nuits.
Quelle créature fut-elle plus bénie des dieux ?
Il manquait au monde un être
Capable d’établir l’ordre et l’harmonie sur la terre,
De saisir par son intelligence l’essence de toutes choses
Et de communiquer avec les dieux.
C’est pourquoi nous avons créé l’homme.
Nous lui avons donné la parole et les arts,
Le feu et les rêves.
Nous l’avons redressé,
Il va debout comme un roi.
Nous avons créé les plantes nourricières
Dont il se nourrit
Et l’argile pour qu’il s’abrite.
Mais il en voulait plus.
Il s’est inventé la liberté,
Cette chose étrange et insaisissable.
Depuis, il perd son temps dans de vaines occupations.
Il nous a ri au nez.
Il a cherché le secret de notre immortalité,
N’a rien trouvé et cherche encore.
L’immortalité, c’est une éternité de lassitude et de solitude.
Entre Io .
Prométhée
Qui t’a permis ? Qui es-tu ?
Io
Je m’appelle Io.
Prométhée
Approche. Tu n’es pas Io.
Io
Je n’ai pas d’autre nom.
Prométhée
D’où viens-tu ?
Io
D’Ukraine. Mes ancêtres sont originaires d’Arménie.
Prométhée
Une jeune femme appelée Io,
Fille du roi Argos, harcelée par le Taon vengeur,
Vint jusqu’à moi dans l’espoir, autrefois,
De trouver une consolation à ses maux.
Je n’avais que d’interminables malheurs à lui prédire.
Elle mourut sur les bords du Nil.
Comment es-tu entrée ?
Io
Tes chiens sont morts.
J’ai pu me glisser par une porte entrouverte.
Le destin m’ouvrait le chemin.
Force est costaud, mais c’est un imbécile.
Préoccupé par le malheur qui s’est abattu sur tes chiens,
Il ne m’a pas vue entrer.
Prométhée
Tu les as tués.
Io
Non. Je les ai aperçus couchés au pied du mur.
Je me suis approchée, ils étaient encore chauds.
Un lait jaunâtre avait coulé de leur gueule immobile.
Leurs yeux gris n’exprimaient plus qu’une mortelle lassitude.
Prométhée
Si ce n’est toi, qui ?
Io
Je ne sais pas.
Prométhée
Crains pour ta vie si tu mens !
Io
Dans ce cas, serais-je venue jusqu’à toi
Sans autre protection que ces misérables vêtements ?
Prométhée
Pourquoi portes-tu un voile ?
Io
Mes cheveux sont tombés.
Prométhée
Tu es malade ?
Io
Non, ce n’est pas une maladie.
Des gorgones, des harpies et des griffons se sont échappés
Dans un sombre nuage de cendres,
Au-dessus de la fournaise atomique,
Semant la honte et la douleur,
Mutilant les têtes et les cœurs.
Prométhée
Quel est donc cet évènement incroyable ?
D’où venaient ces monstres
A jamais chassés de la surface terrestre ?
Io
Au cœur du réacteur
Brûle un feu d’une puissance fatale.
Pour une raison inconnue,
Les mânes du feu sont entrés dans un courroux irrépressible.
Une boule incandescente s’est enfoncée dans la terre
Rejetant dans le ciel cette fumée
Lourde de monstres et de deuil.
Mon mari et mon frère travaillaient à proximité,
Ils ont respiré cet air malfaisant.
Leurs poumons corrompus, ils sont morts.
J’ai dû renoncer à l’enfant que je portais.
La pluie qui est tombée peu après
N’a pas éteint le feu abominé.
Ce n’était pas de la pluie mais du poison
Que des vents maudits ont répandu partout.
Deux cent mille femmes ont avorté.
A force de pleurer, il nous est venu des larmes de sang.
Depuis ce jour maudit, la souffrance coule en moi
Comme de la bile mauvaise dégorgeant sans cesse.
Faut-il nous résigner ?
Aucun remède ne peut nous guérir.
Existe-t-il un médecin capable de nous soigner ?