Poèmes de Jean de la Croix

        

 

Jean de la Croix ou Juan de Yepes né en 1542 et mort en 1591 est un moine espagnol d'origine noble mais dont le père fut déclassé suite à un mariage avec une roturière. Quand ce dernier meurt en 1545, c'est une enfance misérable qui attend Juan. Celle-ci prendra fin lorsqu'un gentilhomme le fera embaucher comme infirmier à l'hôpital de Medina del Campo. Parallèlement à son travail d'infirmier, il suit des études dans un collège jésuite. A vingt et un an, il intègre l'ordre des carmes, y prononce ses vœux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance. Il entreprend des études à Salamanque, mène une vie de pénitences, dort à même le sol, porte le silice, prie pendant des nuits entières.

 

En 1567, il rencontre Thérèse d'Avila et s'engage dans la réforme du carmel. Deux camps s'affrontent, les carmes chaussés (les conservateurs) et les carmes déchaussés (les réformateurs). Les affrontement sont rudes. En 1577, un chapitre de carmes chaussés de Tolède arrête Jean de la Croix et le jette dans un cachot. Il y reste près de neuf mois. Durant cet emprisonnement, il rédige deux des poèmes qui en feront un poète de renommée mondiale, "la Nuit obscure" et "le Cantique spirituel". Un troisième poème rejoindra les deux autres au panthéon de la poésie espagnole, il s'agit de "la Vive flamme d'amour", rédigé probablement en 1586 en Andalousie.

 

Ces trois poèmes sont le récit d'une quête, celle de Dieu, mue par un désir fou, un désir d'absolu qui, dans une lecture profane, pourrait être l'amour absolu. Chez Jean de la Croix, il s'agit d'un amour spirituel; mais le vocabulaire, les images, les métaphores employés évoquent l'expérience la plus charnelle.

 

Ce désir infini franchit diverses étapes, les affres de "la Nuit obscure," le combat du "Cantique spirituel", l'union réalisée dans la "Vive flamme d'amour". On passe ainsi du vertige de la solitude la plus extrême à la lumière de l'amour enflammé. Dès lors qu'on s'affranchit de toute notion divine, on retrouve les questions universelles de la tragédie amoureuse, mais aussi celles de la création artistique en tant que recherche d'un absolu.

 

Les trois poèmes sont écrits au féminin, l'âme en est le personnage principal. C'est donc une voix de femme qui s'exprime, celle de l'épouse. L'époux, le Christ, ne prend brièvement la parole que dans le "Cantique spirituel". La traduction proposée ici s'inscrit dans un contexte particulier : donner corps à cette voix sur une scène de théâtre et la rendre audible à un public contemporain. Donc rechercher une langue aux antipodes du discours pesant des traductions théologiques avec des mots et un rythme correspondant au français moderne, tout en évitant de réduire le texte à une banale histoire d'amour. Bref, trouver un français qui parle à "l'âme" d'aujourd'hui. Mais qu'est-ce que l'âme, aujourd'hui? On trouvera dans la littérature de multiples points de vue tout aussi pertinents les uns que les autres. Peut-être est-ce, tout simplement, la possibilité d'une vie intérieure dans un monde où l'extérieur n'a jamais été aussi intrusif du fait de la multiplication des dispositifs numériques. Sans une vie intérieure riche et autonome comment comprendre le monde dans lequel on vit?

 

Il s'agit donc de considérer l'âme en tant que personnage poétique et d'en faire un personnage théâtral. Le défi dramaturgique n'est pas moindre que celui posé par la traduction, car la création théâtrale doit exprimer l'enjeu tragique au cœur de la création artistique, la folle tentative de parvenir à la jouissance des "délices de l'esprit".

 

 

Extrait de "La Nuit obscure"

 

en une nuit obscure

brûlante d’amour et d’effroi

l’heureuse chance

je sortis sans être vue

mon cœur étant apaisé

 

à l’abri dans les ténèbres

assurée par la secrète échelle

vêtue de noir et d’espoir

l’heureuse chance

à l’abri dans les ténèbres  

mon cœur étant apaisé

 

Extrait du "Cantique spirituel"

 

pourquoi  ayant blessé

ce cœur  ne l’as-tu pas guéri

et me l’ayant pris

pourquoi l’as-tu abandonné  

pourquoi ne prends-tu pas

le bien que tu as volé 

 

éteins ma rage

nul ne peut  la détruire

que mes yeux te voient

tu es leur lumière

et pour toi seul je veux les garder

 

Extrait de " La Vive flamme d'amour"

 

brûlots de feu 

dans votre aveuglante clarté

les abîmes du sens

l’obscur et l’aveugle

flamboient de beautés étranges

réconfortent et illuminent l’aimé 

Images: détails de l'Apocalypse, el Greco.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Le blog de Denis Rudler -  Hébergé par Overblog